Conte de Noël de Martine Gasnier (décembre 2024)
Tigrou, le chat de gouttière au pelage couleur de chagrin, avait élu domicile dans le grenier d'une maison abandonnée au fond d'une impasse. Il y partageait son temps entre d'interminables siestes, la chasse aux souris et l'exploration des malles à souvenirs, laissées par des humains oublieux de leurs rêves. L'une d'elles contenait des livres qu'en d'autres temps des enfants sages avaient lu. Ils racontaient des histoires d'ogres et de loups, de fées et de lutins. Beaucoup parlaient aussi du miracle de Noël et Tigrou les lisait avec un intérêt tout particulier. La fête approchait, il le savait parce que, de sa lucarne, il apercevait la ville illuminée. Il songea que le temps était venu de rejoindre le monde pour célébrer, avec lui, une nuit d'espérance. Lorsque sonna l'heure, il se livra à une toilette minutieuse, vérifia l'état de son museau et celui de ses moustaches qu'il voulait débarrasser des toiles d'araignée colonisatrices. Puis il se regarda dans le miroir terni par la poussière et il se trouva beau. Aux cloches des églises, les carillons s'en donnaient à cœur joie. Il sortit.
Les rues de sa banlieue minable n'étaient que parcimonieusement éclairées et des ombres en profitaient pour tenir conciliabule au pied d'immeubles improbables. Quelque part, un coup de feu retentit, les conspirateurs s'enfuirent à coups de sifflets signalant le danger imminent. Tigrou, affolé, s'était mis à courir. Il traversa des carrefours, risqua de se faire écraser et se retrouva finalement dans la féerie des lumières. Après avoir repris ses esprits, il avisa une grande demeure cossue où sculptures et fer forgé, qui ornaient la façade, attestaient du statut social des occupants. Il s'approcha à pas de félin et regarda.
Sous les lustres ruisselant de cristaux, des silhouettes, un verre à la main, se livraient à un ballet d'une nonchalante aisance. C'était sans doute le charme discret de la bourgeoisie. Soudain, la porte s'ouvrit pour accueillir un couple qui transpirait la certitude de son élégance, Tigrou en profita pour se faufiler. Il parvint dans une antichambre qui servait aussi de vestiaire et remarqua les nombreux manteaux de fourrure accrochés à des cintres comme autant de dépouilles. La panique s'empara de lui. Il chercha, mais en vain, à faire demi-tour. À ce moment, un chat siamois, le poil hérissé et miaulant de colère surgit. Le visiteur inattendu s'inclina avec déférence mais l'autre le prévint que jamais inconnu ne s’immiscerait dans sa vie. Quelques amis, triés sur le volet, suffisaient à son bonheur. Les maîtres, eux-mêmes, ne recevaient que des habitués, à jour fixe pour ne pas dérégler le temps. Là-dessus, il poussa sans ménagement l'importun vers la sortie.
Dehors, les premiers flocons de neige voltigeaient dans l'air immobile et Tigrou, les yeux remplis de larmes, doutait des contes de Noël. Les écrivains étaient des menteurs. À peine remarqua-t-il un vieil homme à barbe blanche, tenant un enfant par la main, qui s'approchait de lui, un bon sourire sur les lèvres. Il se sentit soulevé avec douceur, enveloppé dans une couverture étoilée et emporté dans les bras amis. Bercé par la chaleur et le rythme de la marche, il s'endormit. Quand il se réveilla, des visages joyeux se penchaient sur lui. On lui avait préparé un panier moelleux et une assiette de poisson. Il réveillonna, reçut tant de caresses qu'il en fut un peu étourdi. Le grenier et la solitude étaient loin derrière lui. Devenu prince en sa famille, il y vécut des jours heureux et écrivit, à chaque Noël, un conte pour les chats tristes.