Roman de Pascal Dupin
ISBN 978-2-84859-021-9
256 pages
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Présentation
Soupçonné du meurtre de Stéphanie Rivière, le journaliste Mickaël Urdeline cherche à reconstituer, dans sa mémoire anéantie par vingt années de coma, les traces d’un passé douloureux. D’étranges connexions entre une secte, une organisation humanitaire et un neurochirurgien réputé, qui n’est autre que son père, lui dévoilent une manipulation machiavélique.
Crime passionnel, délire schizophrénique, cauchemar éveillé ? Mickaël saura-t-il établir sa vérité ?
Maître des « impossibles cohérences », Pascal Dupin se joue du temps avec dextérité et entraîne le lecteur dans une intrigue à tiroirs, des pentes du Pilat aux montagnes du Lubéron.
Rendez-vous post mortem a obtenu la meilleure note au prix littéraire du public dans le cadre de l’événement « Les monts du Lyonnais mènent l’enquête » 2011.
Extrait
Il me semble sortir d’un mauvais rêve, le cerveau et le corps complètement engourdis. Il fait encore froid, l’hiver a duré si longtemps, une éternité de glace. Imperceptiblement, mes sens se réveillent…, avec un zeste de mémoire trouble d’une vie passée, d’un reste d’existence. Est-ce cela la mort ? Sans doute ! Je parviens difficilement à déterminer ce que je suis. Je me sens comme enfermé dans une léthargie persistante. Des sons inaudibles parviennent à mes oreilles, lointains, comme un ronflement venu tester mes tympans… J’essaie de comprendre, tout est si confus. Je ne peux pas bouger. Mes paupières restent closes, bloquées : saurai-je encore voir, ici ? Peut-on voir après ? Quelle pression dans ma tête ! La fin de mon voyage atteint-il un au-delà ? Paradis ou enfer, quelle définition ? À quoi dois-je m’attendre ? Allah, Jésus, Dieu ou une autre divinité ? Quelque chose sûrement, puisque de nouveau je pense. Plus que cela même, je réagis… Curieusement, je commence à res¬sentir mon corps ; je croyais qu’ils n’acceptaient que l’âme ! Une réincarnation alors ? Impossible ! Une étincelle de raison surgit du néant : personne n’a jamais témoigné de vies antérieures. Et cependant, ostensiblement, le passé, mon passé, revient, petit à petit, par bribes, fracturé, lointain.
Une sensation de chaud s’insinue en moi, étrange, oubliée, comme le ruissellement d’une source, une résurrection. Mon esprit délire. De légers fourmil¬lements irradient une partie de mon épiderme, ma peau semble se réveiller par endroits. Est-ce un cauchemar ? Sorties de nulle part, des voix émergent, s’arrondissent, prennent vie et résonnent lourdement dans mon crâne :
— Professeur, je crois qu’il se réveille !
— Enfin, Anaïs ! Il revient… après toutes ces années !
Le timbre de cette voix si connue, celle de mon père, du retour de l’enfance, fragile, fatiguée, pleine d’une émotion intense… incompréhensible mais ras-surante. Où que j’arrive, je ne serai pas seul. Mes neurones se dégèlent, une explication s’embrouille. Papa est là, pour m’aider, me ramener. Mais d’où exactement ? Vers quel univers ? Une renaissance ? Est-il mort lui aussi ?
La douleur s’attaque à certaines zones de mon anatomie, le réveil les tiraille de manière brutale. Mon enveloppe charnelle m’accompagne vers ce nouveau monde.
— Regardez, regardez, il bouge !
— C’est un miracle, la preuve que la science n’a pas de limite !
— Recouvrera-t-il toutes ses facultés ?
— Je l’espère mais attention, évitons de trop en dire en sa présence ! Peut-être nous entend-il déjà ?
Évidemment, je perçois plus que je ne comprends leurs murmures irrationnels. Qui est cette femme ? Maman est morte lorsque j’étais enfant. Pourquoi ne m’attend-elle pas dans cet au-delà, elle aussi ? Une autre âme peut-être ? Quelle importance, car là, au milieu de ce nulle part, comme un tic-tac assour¬dissant, mon cœur cogne rageusement dans ma poitrine, peinant à trouver un rythme convenable. Lentement, l’irrigation s’accentue et s’étend à la conquête de territoires oubliés, engendrant tout un lot de petits picotements douloureux. Une sorte de courant électrique stimule mes muscles par endroits, des spasmes en saccades provoqués par un tas d’appareils brûlants destinés à compenser mon absence d’autonomie. Terrifiante inertie, en dépen-dance complète d’une mécanique.
— Il faut qu’il dorme ! Il risque de ne pas supporter !
La voix de l’homme donne ses ordres tandis qu’une aiguille s’enfonce dans une partie de ma chair revitalisée. On me prive déjà de mes sens à peine recouvrés. La nuit reprend ses droits, retardant mon retour. Qu’importe, je discerne désormais que je ne suis probablement pas mort, pas véritablement…
Cela fait plusieurs jours que je l’ai vaincue cette nuit si profonde. Aujourd’hui, je devrais commencer à manger pour remplacer petit à petit la perfusion. Ce sera douloureux. Mon père, en biologiste averti, me l’a expliqué : remise en service du système digestif… et des évacuations au sortir du coma. Je comprends vaguement et je l’accepte, en prisonnier désespérément soumis. Je voudrais lui parler, du moins, pouvoir m’exprimer, libérer la foule de questions qui empri¬sonnent mes méninges mais mes cordes vocales refusent encore de vibrer.
Papa a beaucoup vieilli, de longs cheveux blancs clairsemés entourent son visage ridé, le contrecoup des événements probablement, de ma mort apparente. Il m’aime beaucoup. Quant à ce qu’il m’est arrivé, il refuse d’en parler. Tout juste daigne-t-il me dire que je reviens de loin, que j’ai eu beaucoup de chance. M’expliquer risquerait d’être dangereux dans mon état ? Il préfère remettre à plus tard, quand j’aurai récupéré une partie de mes facultés pour en accepter plus facilement les conséquences. Quand j’aurai retrouvé mes défenses ! Pourquoi ? Contre qui, contre quoi ? La peur s’installe parfois devant ce grand vide, la plupart du temps où je reste seul dans cette chambre d’hôpital, coupé du monde. Face à cette désespérante solitude, quelqu’un, quelque chose, sans savoir qui ou quoi, me manque… Et je suis terrorisé de ne ressentir que l’absence, ténue et diffuse, de cet inconnu, oublié mais profondément désiré.
Les semaines s’enchaînent avec lenteur, suivant l’évolution toute relative de ma guérison. Aucun bruit extérieur ne vient perturber la quiétude de mon rétablissement. Le physique reprend le dessus sur l’engourdissement. Sur le plan psychique, de grandes zones d’ombre étouffent mes souvenirs. Une foule de questions, douloureuses, tenaces, insidieuses, boule-versent mes pensées. Personne d’autre que mon père ne semble autorisé à converser avec moi et je sens bien qu’il distille avec précaution chacune de ses phrases. Mon esprit tente de s’insurger contre cette omerta. Il essaie de combattre l’amnésie en même temps qu’il redoute qu’elle ne s’estompe. Il faudra pourtant bien que j’apprenne un jour la vérité sur ce passé obscur.
Un orthophoniste m’apprend les premières syllabes. Je parviens à dire papa ! Le mot Maman est exclu de son vocabulaire, sur les conseils de mon père probablement. Je me déplace maintenant jusqu’à la salle de rééducation avec des béquilles. Des progrès phénoménaux aux dires de mon kinésithérapeute, dont la conversation se limite à flexions, contractions, étirements et autres injonctions. Je m’accroche avec rage pour pallier ce manque dont j’ignore tout, qui renforce mes doutes et accentue mon désarroi. Ne pas me souvenir me pousse à imaginer n’importe quoi. L’espoir valse avec la peur de ne plus savoir. Je pressens un grand malheur. Je crains que la mémoire ne me revienne bru¬talement et ne révèle tout à coup un drame atroce… mémoire nécessaire pour assumer ma délivrance.
Mes yeux supplient mon père à chacune de ses visites. Quand m’aidera-t-il à recouvrer les souvenirs qui me font défaut ? Peut-être serait-ce le déclic qui déclencherait tout. Je suis persuadé que je pourrais le supporter. Malheureusement, il reste délibérément muet sur ce sujet. Et je reste seul dans cette chambre sans âme, vide et froide avec, pour tout horizon, une unique fenêtre donnant sur le mur nu d’un immeuble, si proche qu’il m’empêche de détecter le moindre signe de vie. Combien de temps suis-je demeuré entre la vie et la mort ? Quand me dira-t-on enfin la vérité ? Cette vérité qui embarrasse mon père à chacun de mes regards interrogateurs. Seul l’exercice quotidien de ma mémoire pour tenter d’en percer les mystères, me permet d’endurer cette mise au secret.
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