Extrait du conte de Françoise Delaire
Certains ont des résidences secondaires au bord de la mer, à la campagne ou à la montagne. Moi, j’ai une maison secondaire sur la Lune, je peux y passer des journées entières. Je ne m’y ennuie jamais…
Les gens disent souvent : « Je m’échappe dans ma maison secondaire. » Ils disent ça pour s’éloigner de leur vie habituelle. C’est vrai que je m’échappe beaucoup moi aussi ; et plus exactement je m’évade dans ma maison sur la Lune. C’est devenu une habitude habituelle. L’avantage, c’est que je n’ai même pas besoin d’un moyen de transport pour m’y rendre, je m’y transporte toute seule ; ni train, ni voiture ou avion, j’ai un mode de transport fantastique, on l’appelle l’imagination. C’est un moyen de locomotion formidable l’imagination, et qui ne laisse aucune empreinte carbone. À moins que les rêves ne laissent une trace dans l’air. Ce serait alors une empreinte « créacarbone » ! C’est bien les empreintes « créacarbone », ça donne du souffle au monde.
Dans ma maison sur la Lune, il y a un jardin, et dans ce jardin, il y a des pensées ; des tas de pensées toujours en fleurs. Elles poussent partout ! Dans les allées, dans les recoins, en pots, en jardinières, ou de manière sauvage. Elles sont si belles ! lumineuses et rêveuses. Il me vient d’ailleurs une pensée… pourquoi dit-on pour une maison qu’elle est secondaire ou principale ? Le principal, c’est de se sentir bien dans sa maison, le reste est secondaire. Et moi, je me sens bien dans ma maison secondaire.
Dans ma maison, le vent dépose parfois un peu de poussière. Mais c’est de la pousière d’étoiles, alors pas besoin de balayer. Au contraire, dans la poussière on peut faire des dessins. Du bout des doigts, je fais naître des volutes, des arabesques, des gribouillis sans queue ni tête. Des planètes inventées et de nouvelles voies lactées dans des forêts filantes. Et quand vient l’heure du coucher de la Terre, la poussière danse dans la lu-mière, illuminant d’étoiles le bleu du soleil levant.
Le vent souffle autour de ma maison sur la Lune. Il est multiple le vent…
Il y a le vent de Neptune qui vient de l’ouest ; il souffle fort et soulève avec lui les pensées en spirales, ébouriffe leurs pétales pour en faire des pensées décousues. Mais ce n’est pas grave, avec un peu de fil de soi, et quelques points de tige, on peut les réparer. Même quand elles sont très abîmées, on peut toujours raccommoder les mauvaises pensées.
Il y a le vent de Saturne qui vient du nord ; un peu sévère et froid, les pensées sous son souffle se recroquevillent, ramassant leur corolle en un tiède duvet, elles mûrissent en silence, ruminent parfois, austères sous les vents contraires. Une pensée en hiver…
Il y a le vent de Mars qui vient du sud ; chaud, volubile, il émoustille les pensées qui se mettent à déborder d’idées, d’histoires cousues de fil blanc – pour celles qui ont été raccommodées –, leur donne des envies battantes et des racines en bouclier. Prêtes à soulever des cratères ! La force de la pensée.
Il y a le vent de Jupiter qui vient de l’est ; il sent le soleil levant, et la terre déjà brûlée, emportés dans son sillage. Avides de cet ailleurs, les pensées tendent ensemble les boutons sages cachés tout au creux de leurs fleurs. Leur parfum vagabonde. Les pensées aiment à se nourrir de nouvelles contrées.
Il y a le vent de Vénus, enfin, qui vient du centre ; il vient toujours du cœur. Sous sa brise douce et légère, les pensées se redressent et scintillent de toutes leurs couleurs, rivalisent de beauté et d’odeur, le pistil flamboyant. C’est l’heure tendre de l’épanouissement, celle où la pensée éclot, tout en maturité, s’apprête à réaliser son destin : enfanter. La pensée au printemps…
Par les fenêtres ouvertes de la maison sans portes, les vents s’engouffrent aussi, murmurent à mes oreilles. Envolent la poussière d’étoiles de mes dessins. Emportent mes pensées les plus secrètes. Les redéposent, toutes fraîches, au matin, sur l’oreiller de mes doux songes.
La maison aux pensées bruisse de créations.
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