Un Kurde à IthaqueAcheter

Roman de Fawaz Hussain

Rayon : Littérature, histoire contemporaine
#l'odyssée #kurdistan irakien #mythologie grecque #génocide kurde

Vivant à Paris, Farhad est un Kurde originaire de Halabja, une bourgade du Kurdistan irakien. Vouant une grande passion pour la Grèce antique, il se rend dans ce pays, berceau de la démocratie. Il va d’Athènes à Ithaque en passant par Sounion, Salamine, Mycènes, Épidaure et Patras. Si partir, c’est mourir un peu, ce voyage sur les traces d’Ulysse s’apparente plutôt à une résurrection. Grâce à des Grecques aussi charmeuses que les sirènes et aussi envoûtantes que les muses, le Kurde s’arrache à la banalité de son quotidien sans pour autant oublier le drame de sa ville. Partout où il va, à chaque pas qu’il fait, il s’enlise dans l’évocation de Chirine, l’amour de sa vie.
Choisissant son protagoniste de Halabja, ville martyre par excellence du Kurdistan, Fawaz Hussain relate le destin des terres kurdes divisées qui peinent à se frayer un chemin parmi les nations et à figurer sur les mappemondes des écoliers.

ISBN 978-2-84859-261-9
252 pages - Format 133 x 203
Livre broché 20 € - Acheter
Livre numérique 7,99 € - Acheter (formats EPUB, PDF, MOBI)

Revue de presse

Préface de Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris

Fawaz Hussain est l’un des meilleurs écrivains kurdes de sa génération. Il a au fil des ans construit une œuvre importante en kurde et en français, ses langues de prédilection, alors qu’il a aussi une parfaite maîtrise de l’arabe et du suédois.

Le présent opus, Un Kurde à Ithaque, s’inscrit dans une suite déjà conséquente de ce qu’on pourrait qualifier de « rêveries » d’un voyageur solitaire. À chaque étape de ses pérégrinations au long cours dans des contrées mythiques ou à forte charge émotionnelle, il est inspiré par une muse sublime au fait des us et coutumes et mythes de la culture locale qui guide ses pas, l’entraîne sur des sentiers inédits et mystérieux, lui ouvre la voie vers des rencontres insolites, inspire et nourrit son récit. Ici, Calliope, la Muse par excellence, veut bien guider Farhad, ce Kurde errant, rescapé de l’holocauste aux gaz chimiques et amoureux des mythes de la Grèce antique, vers la patrie d’Ulysse, à condition qu’il suive les sages conseils du grand poète grec Cavafy. Tel André Gide des Nourritures terrestres enseignant à Nathanaël les plaisirs de l’attente, Cavafy exhorte le voyageur en route pour l’Ithaque à ne pas se presser, à prendre tout son temps, à persévérer, car l’essentiel du plaisir et de l’émotion de cette quête mythique réside dans les préparatifs et les tribulations du voyage. En échange de ses prestations, la Muse Calliope exige de Farhad de coucher sur les pages du cahier qu’elle lui remet son témoignage de rescapé. Aide au pèlerinage à la patrie d’Ulysse contre l’Odyssée d’un rescapé d’un génocide des temps modernes.

À l’ère épique de la Guerre de Troie, les héros Ajax, Achille et Hector se battaient à armes égales ; le courage, l’habileté et parfois la ruse ou la faveur de telle ou telle divinité tutélaire décidaient du sort des combats. Des aèdes pouvaient alors chanter leurs exploits pour les transmettre aux générations futures. Au Kurdistan aussi des dengbêj, dignes collègues des aèdes grecs, composèrent et chantèrent pendant des siècles, et chantent encore, des épopées telle celle du Prince au bras d’or, Abdal Khan, défendant héroïquement sa forteresse de Dimdim contre les armées d’invasion du chah au xviie siècle. Cette longue tradition se poursuit d’ailleurs jusqu’à nos jours.

Le temps des héros se battant à la loyale est depuis longtemps révolu. Aux temps dits modernes, les Turcs ottomans massacrèrent en 1915 plus d‘un million de civils arméniens, femmes, enfants et vieillards sans défense. Hitler s’inspira de ce précédent resté impuni pour perpétrer la Shoah et faire disparaître six millions de juifs innocents sans défense. À Hiroshima et Nagasaki la mort massive vint du ciel. Aucune défense possible contre le Little Boy américain semant la mort parmi une population civile happée, sans distinction d’âge, de sexe ou de profession, dans ses occupations quotidiennes.

La petite ville kurde de Halabja, dont le héros du récit est originaire, s’inscrit dans cette longue liste des tragédies du xxe siècle. Le 16 mars 1988, des avions larguèrent en plein jour des dizaines de bombes chimiques, contenant un cocktail mortel de gaz toxiques sur cette bourgade d’environ 8 000 habitants. En quelques minutes plus de 5 000 civils périrent sur-le-champ au beau milieu de leurs activités quotidiennes sur le pas de leur porte, dans leur cour, dans les rues ou dans les champs et vergers des alentours. La proximité de la frontière iranienne, située à une quinzaine de kilomètres, permit l’accès des médias, et les images de cet holocauste firent le tour du monde et bouleversèrent l’opinion publique. En pleine guerre Irak-Iran qui avait déjà fait plus d’un million de morts, les pays occidentaux condamnèrent ce crime massif violant le Droit international prohibant l’utilisation des armes chimiques. Ils s’abstinrent toutefois de désigner nommément ses auteurs et dépêchèrent sur place une mission d’enquête internationale « pour faire toute la lumière sur ce crime ». L’Irak était à l’époque soutenu à la fois par les pays occidentaux, dont la France et le camp socialiste, ainsi bien sûr que par les pays arabes qui s’abstinrent de toute condamnation. Le rapport de la mission, en dépit d’innombrables témoignages de victimes sur la culpabilité de l’Irak, resta vague afin de ne pas mettre en difficulté l’allié irakien et d’éviter de donner des munitions à la propagande iranienne. Ce n’est qu’après l’invasion irakienne du Koweït d’août 1990 que, pour préparer l’opinion publique à une guerre programmée contre Saddam Hussein, les diplomaties occidentales invoquèrent enfin Halabja et les autres crimes du dictateur irakien contre la population kurde. On apprit ainsi que Halabja n’était qu’un moment culminant d’une vaste opération d’éradication de la population kurde irakienne qui en 1987-1988 fit 182 000 morts. Au cours de cette campagne génocidaire appelée Anfal, « butin », d’après un verset coranique, le massacre des « traîtres kurdes », la destruction de leurs villages et le pillage de leurs biens étaient licites et encouragés. 4 500 des 5 000 villages du Kurdistan et une vingtaine de ses bourgades furent ainsi détruits, rayés de la carte, la végétation brûlée, les sources d’eau bétonnées afin de rendre impossible tout retour à la vie dans ces fertiles campagnes de Haute Mésopotamie, berceau de l’humanité. Plus d’un million et demi de civils kurdes furent internés dans des camps en attendant d’être liquidés progressivement. Des centaines de milliers d’autres durent se réfugier en Iran et en Turquie. La guerre du Golfe de janvier-février 1991 infligea une lourde défaite aux armées irakiennes qui cependant s’en prirent à nouveau en avril-mai aux Kurdes et aux chiites du sud. L’exode de près de 2 millions de Kurdes vers les frontières de l’Iran et de la Turquie, largement médiatisé par les médias occidentaux qui étaient sur place pour couvrir la guerre, souleva l’indignation de l’opinion occidentale et obligea le Conseil de sécurité de l’ONU d’adopter, sur la proposition de la France, une résolution (688) créant un Safe Haven, zone de protection internationale, échappant au contrôle du régime de Bagdad, au nord du 36e parallèle, afin de permettre le retour des déplacés et réfugiés kurdes dans leurs foyers. Cette zone évoluera progressivement vers un Kurdistan autonome, doté de son propre Parlement, de son gouvernement et de ses institutions. Ce statut d’autonomie de fait fut reconnu et consacré dans la Constitution irakienne de 2005, adoptée par referendum après la chute de Saddam Hussein en avril 2003 suite à une nouvelle intervention militaire des Américains et de leurs alliés.

Des documents, y compris des vidéos, des archives du régime déchu permirent d’étayer amplement ces crimes contre la population kurde, contre les chiites et contre les opposants politiques et d’identifier les donneurs d’ordre et les exécutants principaux. Traduits en justice, Saddam Hussein, son cousin Ali le chimique, architecte principal d’Anfal, et quelques-uns de ses acolytes furent condamnés à mort et exécutés. La justice irakienne reconnut le génocide commis contre le peuple kurde sans prévoir de mécanismes de compensation pour les proches des victimes.

Comment compenser d’ailleurs ces crimes indélébiles, incrustés au plus profond de la mémoire collective ? Des plaies à vif de la psyché kurde évoquée, chantée par des poètes et des dengbêj, commémorée au-delà de Halabja dans l’ensemble du Kurdistan. L’élégie composée par le plus illustre des chanteurs kurdes contemporains, Sivan Perwer, qui la chanta en direct sur plusieurs chaînes de télévision lors du concert du bicentenaire de la Révolution française sur le parvis de l’Arche de la Fraternité, lui donna une dimension internationale. Réputée autrefois au Kurdistan pour ses succulentes grenades et par l’aura de sa dernière reine Adela Khan Jaff, dite Khan Bahadour, princesse des braves, qui avait tant impressionné les visiteurs britanniques de passage au début du xxe siècle, Halabja atteint désormais une notoriété mondiale. Elle figure aux côtés de Hiroshima, de Nagasaki et d’Oradour sur la liste des villes martyres de l’humanité.

Sujet ces dernières années de nombre d’études et livres en anglais et en français, de poèmes, chants, romans et documentaires en kurde, Halabja trouve sous la plume de Fawaz Hussain une évocation romanesque mais bien documentée fort utile pour le lecteur francophone. Le fait que cet immense traumatisme de la mémoire kurde soit évoqué à l’occasion d’un voyage initiatique dans cette Grèce qui, la première, sut exprimer la tragédie et en faire un art ne doit sans doute rien au hasard. Les relations kurdo-grecques, on ne le sait pas assez, remontent à l’Antiquité, aux guerres dites médiques, les Mèdes étant considérés comme les ancêtres des Kurdes. C’est dans la plaine d’Erbil, Arbèle d’Hérodote, capitale du Kurdistan irakien, qu’Alexandre le Grand vainquit l’empereur perse Darius en l’an 330. Dans la retraite des Dix-Mille, le général grec Xénophon ne tarit pas d’éloges sur la vaillance des Carduques, Kardukhoy en grec, nom sous lequel les Kurdes étaient jusqu’à une date assez récente connus par les Grecs. C’est en Crète que le dernier prince régnant de la principauté kurde de Bohtan, Bedir Khan Beg, vécut en exil, à la forteresse des Vénitiens où il offrit sa protection aux patriotes grecs pourchassés par les Ottomans. Ses enfants et petits-enfants élevés à Constantinople devaient apprendre le grec, sans doute la plus belle et riche langue jamais inventée par l’homme. Récemment certains historiens occidentaux, dont le Français Hubert La Marle, affirment qu’avant son hellénisation, la Crète était peuplée des Mycéens qui seraient originaires d’Iran occidental, c’est-à-dire du Kurdistan actuel. La ressemblance entre les berceuses kurdes et crétoises, certains noms toponymiques plaideraient aussi en ce sens. C’est dire qu’au-delà de leur détestation commune des envahisseurs et occupants turcs, Grecs et Kurdes ont des liens historiques et des affinités et une sympathie réciproque. D’où l’intérêt de sa muse Calliope, de l’amour de l’auteur pour la Grèce et ses mythes nonobstant la défaite subie par ses ancêtres mèdes à Salamine.

Élégie pour Halabja, ce livre est aussi une ode à la Grèce éternelle dont les mythes, l’art et la pensée surent survivre aux vicissitudes et caprices de Chronos et à tant d’invasions barbares.

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