Le roman que nous livre ici Patrick Vincelet, dans un style direct et cinématographique, résonne en nous comme une invitation au voyage dans les méandres de l’âme humaine.
Nous voici en présence de la Cyclope et, dès l’abord, nous reviennent en mémoire des réminiscences homériques, sauf que l’effrayant géant, à l’œil unique au milieu du front, était de genre masculin. Ainsi, dès le titre, les pistes sont brouillées jusqu’à la terrible révélation du corps monstrueux d’Emmanuelle-Brian que certains, bien à tort nommés camarades, n’auront de cesse de moquer dans un jeu de harcèlement cruel, pratiqué de tout temps sur les cours de récréation. À l’école de filles de mon village, où j’allais, il y avait celle que l’on surnommait la Grande Perche en raison de sa taille mais aussi de son peu d’aptitude à apprendre. Je crois qu’à cette époque, déjà lointaine, personne n’intervenait, mis à part les leçons de morale écrites au tableau noir qui enseignaient, à leur façon, l’amour du prochain. Aujourd’hui, le temps de quelques journaux télévisés, nous découvrons le calvaire des enfants harcelés dont certains voient dans la mort la seule échappatoire à leur destin. Au cœur du sujet se niche le rejet de la différence, tant physique que sexuelle ou intellectuelle, et l’on pense en frémissant aux heures les plus sombres de l’Europe.
C’est à cette intolérance que nous confronte l’auteur, mais n’allez pas croire qu’il s’agit d’un chemin de croix que vous gravirez en redoutant le supplice final. Très vite vous serez happés par l’enquête poursuite qui vous forcera à aller, dans l’urgence, au bout de votre lecture.
En orientant son propos vers le suspense, Patrick Vincelet, tout en ne s’éloignant jamais de la cruauté de l’histoire, lui offre une autre dimension. On accompagne les personnages dans leur œuvre de justiciers et lorsque les bourreaux sont punis, on assiste à une véritable rédemption, au triomphe de l’humanité contre une certaine forme de barbarie. Emmanuelle-Brian peut enfin retrouver son identité perdue et vivre au grand jour. Belle leçon d’espoir pour tous les êtres différents de ce qu’il est convenu d’appeler la normalité.
Merci au romancier de nous rappeler que l’humanisme est une valeur fondamentale et que, par les temps qui courent, il est salutaire de ne pas l’oublier.
Martine Gasnier, auteur, historienne du droiit