« Le propre d’un prosateur, romancier, nouvelliste, poète, ou les trois, est de se renouveler sans perdre son âme, son identité, même s’il utilise plusieurs pseudonymes.
Le propre d’un éditeur est de proposer un panel de textes nouveaux et anciens, méconnus pour ces derniers, afin de s’imprégner de l’œuvre concoctée en quelques décennies par un auteur dont le seul but est de captiver son lecteur et de le sortir d’une morosité ambiante.
Penchons-nous tout d’abord sur la nouvelle éponyme du recueil, la plus longue, qui nous transporte dans l’Amérique profonde.
La maison à claire-voie. Après quelques années de vie commune avec Matt, Kimi a jeté l’éponge. C’était un échec, Matt, et il était imbuvable malgré tout l’alcool qu’il ingurgitait. Et la voiture de Matt est comme lui, déglinguée, si bien que Kimi tombe en panne au milieu d’une nature aride. Il fait chaud. Conséquence directe, il fait soif. Et Kimi espère bien découvrir parmi les buissons de genévriers et les rochers disséminés un peu partout, une bâtisse accueillante. Mais ce qui se présente à ses yeux n’est qu’une bicoque en bois aux pans verticaux disjoints, entourée d’arbres rabougris sur les branches desquels pendouillent de vieilles canettes de bière et de soda. Des mobiles ruraux incongrus dans ce paysage désolé. C’est l’œuvre du Sonné lui apprend un colosse qui la surprend dans l’expectative.
Ils sont cinq à l’intérieur, Cliff, celui qui l’a interpellée, Oren, le Sonné, Tony et Cochise. Cinq rebuts de la société, des barjots, différents les uns des autres aussi bien mentalement que physiquement. Mom de sa tanière nichée là-haut dans la mezzanine plongée dans l’obscurité, et Cerise, la gamine décharnée qui ne pourrait pas figurer dans une publicité pour des assurances complètent la panoplie humaine. Mais ce serait trop beau s’il fallait en rester là. Car entre ces déjantés et des motards sillonnant le paysage, une guerre larvée a été déclarée. Les moyens ne manquent pas pour se chicaner, voire plus. Et ils en sont à un cheveu de s’exterminer.
L’assassin viendra ce soir nous invite à entrer dans l’intimité d’une famille moyenne, très moyenne, avec le père qui pourrait être la réplique de Gros dégueulasse de Reiser, la mère, sur laquelle je ne m’étendrai pas, trop de surface, la fille Perce-neige dont les globes fessiers la plupart du temps ne sont pas recouverts d’une culotte, frustrant les curieux qui aimeraient bien en connaître la couleur, et du fils, une bonne dizaine d’années et dont un copain bidouilleur a traficoté la zapette, plongé dans la lecture des Aventures du Limier des Ténèbres. A la télé, se déroule un programme intitulé L’assassin viendra ce soir. Le principe est de dévoiler en direct la photographie d’un individu, cliché pioché au hasard, qui sera la cible de l’assassin. Et c’est avec un intérêt mitigé que cette famille se rend compte que l’heureux élu n’est autre que le père. L’angoisse monte et atteint son comble lorsque le gamin découvre son père avachi dans son fauteuil un sourire kabyle égayant sa face.
Le persan bleu. Florian n’a pas quinze ans mais devant lui se profile un avenir de petit voyou. Il s’introduit un soir dans une maison, dont la porte n’est pas fermée. A la main il brandit la réplique d’un revolver. Il est tout étonné, en entrant dans une pièce, de se trouver face à face à une vieille femme qui braque une arme qui n’est pas fictive et lui affirme qu’elle l’attendait. Elle lui reproche d’être fautif de la disparition de Pompon, son Persan bleu. Il a beau contester cette affirmation, elle n’en démord pas. Sa vengeance sera terrible.
Enfin, dans Les chiens noirs, nous faisons la connaissance d’une famille longeant en voiture le Lac Champlain au Canada. L’homme consomme plus que son véhicule, une Chevrolet qui mériterait de figurer dans un cimetière pour tacots. La pluie tombe, et Rachel n’est pas rassurée. Pas tant pour son homme ou pour elle, mais pour Melinda, leur fille de cinq ans surnommée Choupette. La pluie, des balais d’essuie-glaces qui ne sont plaqués sur le pare-brise que pour la frime, un phare borgne, une voie étroite à l’asphalte dégradé, il leur tarde d’arriver chez Tante Rosanna éleveuse de poulets, qui leur offre un hébergement en attendant que les finances cessent de faire la gueule. Rosanna au plus haut des cieux ! C’est à ce moment qu’un chien noir déboule au milieu de la route. Le réflexe du conducteur le propulse contre un arbre. Ils ne sont pas particulièrement musiciens, alors une voiture en accordéon, à quoi cela peut-il leur servir. Heureusement un indigène, ou autochtone pour ceux qui préfèrent, arrive dans sa guimbarde à plateau. Il accepte de les prendre à bord, de les dépanner, le seul problème, ce sont les trois chiens noirs placés à l’arrière. Or, pour Rachel, chien noir équivaut à une malédiction. Trois en plus, c’est l’entrée de l’enfer. [...]
Ces nouvelles ne sont ni policières, ni fantastiques, mais jouent sur la frange de ces deux thèmes, oscillant vers le dérisoire, l’humour, l’inquiétude, l’angoisse, portés par la présence d’enfants dont le rôle est parfois primordial. »
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