« Avec ce roman d’Alexis Ruset, le lecteur est plongé dans l’atmosphère trouble et mouvante d’un village situé sur la ligne bleue des Vosges, sur le front-est de la guerre de 14/18, quasiment entre les armées allemande et française dont les mouvements le mettent tantôt sous occupation ennemie tantôt en zone provisoirement libérée.
Le lieu de l’action constitue une scène idéale pour une intrigue qui met aux prises dans le petit village de La Harpaille des protagonistes dont certains profitent de l’état incertain des hostilités dans une guerre qui n’en finit pas de ne pas finir, pour donner libre cours à leurs bas instincts, à leurs jalousies, à leur haine de celui qui ne leur ressemble pas, de celui qui n’est pas « des leurs ».
Car le personnage central est venu de l’Alsace, alors allemande, avant la guerre et, dès son installation dans le village, il a suscité curiosité, moqueries, animosité, suspicion, superstition et répulsion. Il est nain, difforme, il arrive un soir monté sur un grand bouc blanc, il parle un alsacien mâtiné d’allemand, il est accueilli et logé par une vieille femme solitaire elle-même rabougrie, laide et édentée, dont la demeure est à l’extrême bout du village (représentation classique de la sorcière et de son habitation excentrée par rapport à la communauté villageoise) et qui lui loue un cabanon isolé dans la forêt proche. Il a, pour compléter l’archétype, des dons « diaboliques » de guérisseur et de vétérinaire. Le monstre et la sorcière…
Il faut ajouter à cette caractérisation classique le fait que le second adjuvant, Octave, qui se pose en protecteur du petit homme, est le forgeron du village, autre figure traditionnelle de personnage aux pouvoirs magiques. [...]
L’auteur enchaîne, dans une atmosphère de concentration haineuse croissante, les scènes qui mènent le village de la simple méfiance initiale à la délation insistante auprès des occupants allemands, lesquels, machiavéliquement manipulés, finissent par condamner à mort le petit homme et par le livrer au lynchage collectif.
Une fois atteint le paroxysme du déchaînement de la violence, une fois le sacrifice rituel accompli, l’auteur entame un second parcours narratif, celui de la vengeance, dont le mécanisme est mis en branle par Octave qui se bat sur le front et qui, patiemment, au rythme de ses permissions, met les principaux responsables en défaut, les dresse les uns contre les autres, jusqu’à les conduire à retourner sur eux-mêmes leur propre méchanceté.
Les événements ainsi se succèdent à un rythme rapide et tiennent le lecteur en haleine jusqu’au dénouement. [...]
Si on ajoute à la variation des chaînons narratifs l’usage ponctuel de régionalismes dans le récit et du dialecte local dans certains dialogues, on comprend qu’on a là un bon roman socio-historique. [...] »
Patryck Froissart
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